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Archives Mensuelles: mars 2013

Nos bottes dans les vallons, les flaques où nous imprimons à qui veut les voir les empreintes des fous, des courageux, ou des idiots qui se sont laissés tremper par l’averse. Alors que timidement le gracieux parapluie, au cou de cygne tordu entre mes doigts, chantait ou rendait les armes, que les vestes se libéraient des corps qu’elles enchaînaient, le rideau d’eau commence  à s’abattre de nouveau. Prompt à la fuite, la pluie sur mes talons, nous marchons à reculons de  l’autre côté des nuages à l’intérieur où ne nous touche que la chaleur de l’âtre.

Juin 2009

C’est une ligne imaginaire. La plupart en ignore même l’existence, ce n’est qu’une rue, à première vue, en passant. A plus forte raison à ces heures mi-closes de la matinée. Le long des vitrines, des rideaux fermés sauf sur le coin. Là, à côté des vitres embuées du café, au-delà de la terrasse, le trottoir. Les gens s’y croisent et le plus souvent continuent de tracer leur route. En parallèle, la circulation ne fait qu’heurter leur sensibilité. Là sur le côté, une rangée de taxi se repose parfois. Un homme s’avance, s’arrête sans raison à priori. Il ne marche plus, le regard dans le vague. Il n’y a plus vraiment d’action. Aucune voiture ne passe, la rue est déserte à croire que le gel les a prit dans leur sommeil. Le froid l’évite encore, avec le même égard et écart que les autres piétons ont. Droit, les mains le long du corps, une silhouette à peine. L’attention se reporte sur l’autre en vert qui traverse, se signalant bien, sur les clous. Sur son modèle tous traversent, tous, ces quelques clients sans patience, mal réveillé et en mal d’oreiller. Qui peut les arrêter dans leurs multiples courses ? Certainement pas lui, à l’arrêt déjà. L’air vague, il se confondait avec l’arbre au loin dont on devinait les branches qui partait en tous sens. Il attendait de partir, sans doute. La prochaine voiture s’éternisait sur le trajet.

Sans attendre, un autre arriva au même niveau, il se pose, debout. Ils ne se serrent pas la main. Ils ne doivent pas se connaître. Le hasard, drôle de rendez-vous. Au loin, leur stature les fait paraître uniques. Ils ne se mélangent pas pourtant, deux à braver le froid, en attendant. Une discussion ne s’engage pas. Que font-ils là ? Rien à portée de vue. Le froid leur sciait les jambes et n’osant pas fuir, ils restaient les mains dans les poches. Ravivés sur leurs joues quelques couleurs, peut-être la timidité. Rouge, quelqu’un parlerait-il ? Troublant et troublés, leurs visages au loin guettaient quelque chose. Des débarqués qui espèrent le prochain bateau. Ils seront deux passagers, ils auront à se connaître, plus tard. Ils se savaient l’un à côté de l’autre. Peut-être l’origine de leur malaise. Ça ne passait plus. Les bras se terminaient dans leurs vestes et leurs mains fourrageaient avec un certains désespoir. Trouveront-ils quelque chose à se dire dans les vastes plis de leurs longs manteaux ? Un morceau d’insolite pour ouvrir les yeux, un bout de commun entre eux. L’un d’eux serrait les poings, ils sentaient les gants qu’il n’avait pas mis. Il ressentait les picotements du froid Dans sa poche gauche, l’autre sentait un objet comme un couteau suisse, le vent lui lacérait les joues. L’un deux avait la richesse des menues monnaies, nerveusement il les faisait tourner avec la chance peut-être dans sa poche. Celle-ci rapiécé, témoignait de sa fatigue, les coutures se distendaient. Entre eux, comme un fil tiré et prêt à se tendre. Silence.

Au dessus d’eux, précisément, sur un fil téléphonique jeté sur la rue comme une branche venait de se poser des oiseaux. En cette saison, ils étaient rares à ne pas migrer, ils se nichaient dans les villes et pouvaient bien entendre les rumeurs de la rue. Cette clameur des rues était pourtant rare. Par le froid qui régnait peu de chose, hormis les courants d’air et les rhumes, couraient les rues sans risques. Les conversations, diverses, ne restaient pas dehors dans le froid, à attendre. D’hiver d’ailleurs et justement on garde l’habitude d’échanger à mi-mots devant la cheminé, à même la peau. De leurs bouches, des volutes de vapeurs s’élevaient. Ils respiraient, comme des locomotives, à vapeurs, à l’arrêt. Ils avaient déraillés. Leurs lèvres articulaient des sons qui restait sourds, un dialogue de muet. Que voulaient-ils se dire ? Echanger leurs craintes ? Ils avaient les mêmes. Partager le froid, la déception ? Ils en avaient plus que leurs quotas. Pourquoi leur fallait-il quelque chose à se dire ? C’est humain. Chut ! Il n’aurait servi à rien de briser la glace. Ils patinaient dessus. C’était grisant comme de braver un interdit. Dans le silence, un bruit argenté fendit l’air. Décousue, la poche se vidait. Dégonflée, ses pièces touchèrent le sol, grisâtre. Il se baissa pour ramasser épars ces éclats d’or qu’il discernait mal sur les pavés qui faisait le trottoir. L’autre debout, ne lui jeta pas même un coup d’œil, avare de son attention. Maintenant courbé, l’homme dans sa recherche cachait mal son agacement, gardant son poing serré dans sa poche crevé, une bosse menaçante. Sous son poids, la glace se fissura.

Une évidence. Elle apparu dans l’air ; personne ne descendrait aujourd’hui pour les prendre. Ce n’était pas si grave, personne ne pouvait les attendre, là où ils allaient. Quelque chose cependant transforma leur regard. Ce n’était pas tant la tristesse qui voilait leur regard que ce sentiment d’avoir perdu ce temps, dont jusque là ils ne savaient que faire. Ils auraient encore pu s’occuper d’autre chose, en vain, il avait choisi d’attendre pour de bon. Attendre de partir, loin. Que pouvait-il arriver ? Faute d’imagination, ils restaient là, en spectateur. Toujours contemplatif, sans raison. Il n’advint rien ; reporté à une date ultérieure. La scène, vide de sens, se désertait. Un à un les oiseaux s’élançait du perchoir, et laissait pendre les fils de télécommunications. Il n’y avait rien à dire. Pour eux l’espoir ne diminuait pas ; il fallait juste se résoudre, aujourd’hui fut un échec. L’un de ces deux hommes parti, l’autre, passant, attendait, avant de repartir, pour finir.

Février 2011